Gilles Verneret
Directeur du centre de photographie Le Bleu du Ciel

Une œuvre

Plonger dans l’œuvre d’images de Thaïva Ouaki est comme s’immerger dans la diversité de la photographie contemporaine, premiers jets de métaphores aquatiques recoupant bien le plan émotionnel sous-jacent à chaque photographie, regroupées ensuite dans des séries distinctes.
La diversité d’expression artistique, qu’elle se revendique sous la forme d’un étendard conceptuel, plasticien ou documentaire, ou trouve sa justification et son unité rédemptrice dans l’acte du faire, est chez Thaïva Ouaki la preuve de la nécessité intérieure grandissante, et mouvante supportées par l’expérience vécue. Elle voit ce qu’elle regarde, dans une vision holistique, elle dessine ce qu’elle ressent à même la sensation, elle analyse ce qu’elle comprend intuitivement, surgi du composé visuel, puis ordonne et recompose ces éléments disjoints des réalités croisées, dirige et met en place des surfaces et des êtres de passage au sein des espaces, confronte des couleurs en dialectique avec des lumières, qu’elles soient artificielles ou dirigées en cône ou en rayons naturels, elle pense et s’arrête dans un songe vide, interstice de silence où elle éternise le temps de la pose.

Le fil d’Ariane qui traverse ces parcours multiples et symboliques, fait naître de l’écume la solitude et l’enfermement, dont Icare figure légendaire de la jeunesse en recherche, veut s’extraire par le rêve de cette jeune femme au dos brûlé par le soleil créateur qui revient sur terre, dans sa chambre d’hôpital trop blanche et  trop polie. Mais on ne rêve pas en couleur et le réel nous rattrape avec ces chiens numérotés, furieux, oubliés, invisibles, qui ne parviennent pas à quitter l’anonymat de leurs cris étouffés derrière ces cages d’habitat. On n’échappe pas à l’image, Thaïva Ouaki en fait le cruel et lucide apprentissage, aux côtés de ses murs de panoptiques, d’où sort ce mauvais sang que se font les femmes sur ce monde à l’arrache, ces femmes qui en chemise défient et interrogent la nuit sur l’horizon de cette mer de culture, désespérément mutique, dans lequel Icare sombre pour toujours chez Bruegel.

On voudrait que tout cesse et se referme sur la sage immobilité des Merges de la mer, où la neige  télévisuelle fait figure de message sur la Polis, cette cité incommunicable à la tombée du jour qui hypnotise nos sensibilités. On cherche la vie, contre la  mort, et la maladie rôde dans ces intérieurs en attente, dans ces confessionnaux dérisoires et sculptés où Dieu s’endort dans la mémoire avec les fleurs de Pompei, qui nous rappellent une  fois ultime à nos impermanentes conditions…
L’artiste est là, en attente derrière son œuvre, latence imminente, qui va sourdre, est-il besoin d’ajouter en profondeur?